La contribution majeure de l’universitaire roumain Liviu RUSU (1901-1985), docteur en philosophie et en littérature, est d’avoir exploré la question du ressort de la création artistique sous un angle à la fois psychologique et philosophique et de l’avoir reliée à sa perspective essentielle : la communication du sens.
Créer pour retrouver le sens perdu
C’est pour répondre à une intense quête de sens que l’artiste ressent la nécessité de créer. D’ordre existentiel, l’acte créateur permet à l’artiste de clarifier son monde intérieur et de dominer ses forces instinctives. L’œuvre d’art est ainsi la matérialisation d’une cohérence retrouvée : « L’œuvre d’art a son origine dans le dynamisme, dans la dialectique de la vie, processus complexe, mais unitaire, qui a des sens cachés qui se révèlent et se cristallisent dans l’œuvre d’art.[1] » explique Liviu RUSU.
L’impérieuse nécessité d’innover
La spécificité de la création artistique est que la recherche de l’artiste ne trouve son aboutissement qu’à travers l’émergence dans la matière d’une forme singulière : « C’est par la force libératrice de la forme que l’artiste apaise son âme[2].» En quête d’une expression inédite pour retranscrire le plus exactement possible ses tensions intérieures, l’artiste est, selon Liviu RUSU, appelé à innover sans cesse – parfois radicalement : « C’est cette communion de la technique avec l’effort spirituel qui peut nous expliquer les innovations apportées à la technique. Si Wagner, par exemple, a innové les méthodes de l’orchestration, il l’a fait parce que les vieilles méthodes étaient insuffisantes pour l’aider à exprimer ce qui le troublait. Si Van Gogh recourt aux lignes capricieuses qui s’entremêlent, comme dans une flamme infernale, il le fait parce qu’une touche calme ne pouvait traduire la flamme intérieure qui le dévorait. Tout procédé technique doit sa puissance expressive à la sensibilité créatrice[3]. »
L’œuvre d’art, expression de ce qui unit les êtres en profondeur
Et plus l’artiste dévoile les profondeurs de la conscience collective, plus son œuvre aura une résonnance large auprès du grand public qui se retrouvera en elle. Or, c’est essentiellement en recherchant dans les couches les plus intimes de son être que l’artiste peut apporter un contenu puissant à son œuvre : « plus profondément l’artiste pénètre dans son monde intérieur, plus il approchera de cette profondeur où son individualité s’allie aux autres individualités, donc à la collectivité. Ce germe profond trouve son expression dans l’œuvre d’art. C’est là le motif pour lequel les individualités humaines les plus diverses, avec toutes les différences qui les séparent, se complaisent souvent dans la contemplation d’une même œuvre d’art. Au-delà de ce qui les sépare, l’œuvre exprime ce qui les unit[4]. »
[1] RUSU Liviu, « Essai sur la création artistique. Contribution à une esthétique dynamique. », Editions Univers, Bucarest, 1972, 2ème édition, p.9.
[2] RUSU Liviu, « Essai sur la création artistique comme révélation du sens de l’existence. Contribution à une esthétique dynamique. » Thèse pour le Doctorat ès Lettres, Edition Librairie Félix Lacan, Paris, 1935, p.133
[3] Ibid, p. 313
[4] Ibid, p347
Source image : http://www.referatele.com/referate/romana/Rusu-Liviu/
Intéressant article de la part d’une rédactrice & photographe !
Quelle est la part d’art dans l’acte de rédiger ? Et si il y en a une, y a-t-il aussi aussi ici l’impérieuse nécessité d’innover ? Que donnerait par exemple le même article dans un style totalement différent, par exemple un style orienté web marketing, façon Raymond Queneau ?
Merci Sabine! C’est une belle idée que tu proposes… on peut effectivement innover dans tous les domaines et dans l’écriture en particulier. La spécificité de la création artistique est cependant que l’innovation n’est pas un simple exercice de style mais qu’elle s’impose à l’artiste dans un élan vital. Pour Liviu Rusu, ca n’est ni plus ni moins que la vie -au moins psychique- de l’artiste qui est en jeu. Ce dernier n’a pas d’idée préconçue avant de commencer sa création et ne maîtrise pas, au départ, les contours de ce que va être son œuvre. Il se laisse façonner par son ouvrage autant qu’il ne le façonne lui-même. L’œuvre se révèle au fur et à mesure dans une recherche de parfaite union entre le fond et la forme qui ouvrira la possibilité de faire émerger, dans certains cas, une innovation radicale…